Rodolphe Cart : “Le militant patriote doit alors être « affecté » par un imaginaire”
- Mickaël Lemoult
- 6 juin 2024
- 9 min de lecture
Rodolphe Cart : “Le militant patriote doit alors être « affecté » par un imaginaire”
À l’approche des européennes, Rodolphe Cart, auteur de plusieurs essais, auteur pour Front Populaire, se confie sur les différences entre le souverainisme et l’identitarisme.
Comment décririez-vous les différences fondamentales entre l'identitarisme et le souverainisme ?
De manière schématique, disons que si les identitaires sont des partisans du contenu (composition du peuple, structure ethnoculturelle, etc.), les souverainistes s’attardent davantage sur le contenant (instruments de puissance, rapports de force entre États, etc.). Souvent, un identitaire fera la remarque suivante à un souverainiste : « À quoi bon être souverain si l’on est dépossédé de son identité ? » C'est une manière de dire en clair que cela ne rime à rien de reprendre en main notre pays si le peuple français est voué à être composé majoritairement d’extra-européens. En face, les souverainistes répliquent : « C’est bien beau de maintenir une dimension identitaire dans le combat politique, mais quelle importance si nous ne sommes plus libres de nos actions et de nos décisions ? » Il suffit alors de mentionner le cas des Aborigènes d'Australie ou des Indiens d’Amérique qui ont, malgré le fait qu’ils vivent sur la terre de leurs ancêtres, un poids politique quasiment nul. S’il est bon de dire qu’« on est chez nous », c’est mieux de pouvoir le défendre réellement !
Autrement dit, l’identitaire s’intéresse à ce que les peuples sont (question de l’être) et le souverainiste à ce que les peuples font (question du faire ou agir). Dans un article pour la revue Éléments, Pierre-Romain Thionnet décrivait l’identitaire comme celui qui fait primer l’être sur l’agir et le souverainiste comme celui qui privilégie faire sur l’être. D’un côté, la caractéristique première de l’engagement d’un identitaire demeure son réalisme biologique (importance de la dimension ethnique, du fait héréditaire et de la génétique d’un peuple) ; de l’autre, celle d’un souverainiste concerne plutôt le réalisme politique (rapport historique, institutionnel, culturel et économique des hommes vivants en société).
Comment définiriez-vous votre ligne politique ?
Pour tout vous avouer, avant de me dire souverainiste ou identitaire, je préfère me présenter comme un nationaliste français. Le nationalisme promeut une synthèse parfaite des questions de l’être et de l’agir : celle de se maintenir. Et en effet, une seule question anime un authentique nationaliste : comment se maintenir en tant qu’entité politique indépendante (souverainisme) et en tant que peuple historique (identitaire) ? Seule la défense des intérêts de son pays et de son peuple conditionne son positionnement sur les questions politiques. Sur ce point, les identitaires aiment souvent opposer aux souverainistes l’exemple du Brexit. Or, je ne connais aucun souverainiste qui ne regrette pas l’absence de politique migratoire de la part des Britanniques. Mais nos voisins d’Outre-Manche sont autres, et surtout ils sont souverains et maîtres chez eux. En tant que Français, je n’ai donc pas mon mot à dire – sauf si la situation touche aux intérêts de mon pays.
Que signifie l’Europe pour vous ?
Comparé à d’autres souverainistes, je pense qu’il faut reconnaître qu’il existe des liens identitaires, culturels et historiques entre Européens. Avant les bouleversements démographiques des dernières décennies, les peuples européens se sont constitués comme héritiers biologiques de trois souches ancestrales principales, qui se sont mêlées dans des proportions variables d’une région à l’autre du continent. On retrouve les « chasseurs-cueilleurs » installés sur notre continent à partir du paléolithique supérieur (depuis environ 45 000 ans) ; les populations anatoliennes participant à la « révolution néolithique » (de -10 000 à -2500 avant J.C.) ; et les vagues de conquérants venus des steppes situées au nord de la mer Noire, du Caucase et de la Caspienne. Nous appartenons aussi à une même famille ethnolinguistique (à l’exception du Basque, du hongrois, du finnois et de l’estonien), et la mythologie comparée a démontré, en autres par les thèses formulées par Georges Dumézil, que les sociétés d'origine indo-européenne organisaient l'activité humaine d’une même manière : en trois fonctions, correspondant aux domaines religieux (oratores), guerrier (bellatores) et économique (laboratores).
En revanche, là où je me différencie des identitaires, c’est que ne pense pas que ces liens doivent forcément déboucher sur une action politique commune. Depuis les années 1980, la disparition de pans entiers de la souveraineté des États-nations s’est réalisée au profit de la construction européenne. Plus grave encore, les élites nationales des États (élites tout à fait « blanches », faut-il préciser), notamment après la crise financière de 2008 et la volonté de sauver les banques, ont placé –volontairement ? leur pays sous dépendance des marchés financiers. D’ailleurs, l’euro avait déjà enlevé cette possibilité, pour les États, de décider souverainement de leur politique militaire. Bien évidemment, les peuples n’ont jamais été associés, ni même consultés, à la construction européenne. Une identité commune n’a pas su fomenter un sentiment de destin commun. Sans cesse divisée et fragmentée par des intérêts divergents entre pays, l’Union européenne est en train de condamner l’idée d’Europe comme l’URSS le fit avec l’idée communiste. « Bref, comme le dit si bien Pierre Manent, alors que l’UE devait nous introduire au stade ultime de la démocratie, elle a reconstitué une oligarchie consciente de soi, assurée de son bon droit, et bien décidée à imposer ses vues au grand nombre récalcitrant ».
Quelles sont vos solutions pour les problèmes que vous mettez en avant comme l’immigration ?
Comme je le mentionne au début de mon dernier essai (Feu sur la droite nationale !), le réflexe identitaire est un signe de bonne santé du peuple français – notamment chez la jeunesse. Les souverainistes reviennent souvent sur la confiscation de la « souveraineté populaire », notamment avec le vote de 2005 et la trahison organisée par Nicolas Sarkozy au moment de l’adoption du traité de Lisbonne par le Parlement. Or, un des sujets majeurs de cette « dépossession » concerne la question de l’immigration, qui, en l’espace de deux générations, passa – par le regroupement familial (décret de 1976) et le renforcement des flux – d’une immigration de travail à une immigration de peuplement. Confrontées directement (insécurité, délinquance, vie quotidienne en voie d’islamisation, etc.) à l’arrivée de ces masses extra-européennes, les catégories populaires ont subi de plein fouet ce phénomène comme un abandon de la part des élites.
J’ai toujours plaidé pour que les souverainistes s’emparent de la question identitaire. D’ailleurs, si les souverainistes désirent convaincre la jeunesse, ils ne peuvent éluder ce sujet si sensible. Et même, d’un point de vue théorique, une politique souverainiste se doit de considérer les différences démographiques entre groupes humains pour qu’elles n’entraînent pas de conséquences dommageables pour la communauté nationale. Bien que je reconnaisse tout à fait que des Français d’origine étrangère fassent partie du camp national. Je pense que les souverainistes auraient tout intérêt à insister sur ce souci « identitaire » de tout faire pour maintenir le peuple historique. c’est-à-dire blanc et d’origine européenne – comme peuple majoritaire en France. Sur les sujets de l’immigration, de la fermeture des frontières, de la préférence nationale ou même de la remigration, les souverainistes doivent démontrer au plus grand nombre que seule une politique française et indépendante permettrait d’avoir des résultats probants.
Quel est votre avis sur l'évolution de la droite nationale en France aujourd'hui ?
Tout souverainiste doit revendiquer être un nationaliste. Autrement dit que les intérêts économiques, géopolitiques et militaires de son pays, la France, doivent dicter l’ensemble de ses sentiments, de ses jugements et de ses décisions en politique. Cet engagement doit plonger le souverainiste dans une atmosphère constante de réaction, de défense et de protection des intérêts nationaux — et cela, quel que soit le sujet. Le militant patriote doit alors être « affecté » par un imaginaire, comme dirait le philosophe Frédéric Lordon, constitué de « prothèses passionnelles » nationalistes.
En politique, il ne faut surtout pas sous-estimer l’importance du rôle des sentiments, de la passion pour l’engagement. On ne devient pas marxiste parce qu’on a lu toutes les démonstrations du Capital, mais bien puisque notre sentiment, d’abord, nous enjoint au communisme. Le préalable de toute doctrine est de parler aux tripes et au cœur de chaque militant. « C’est pour cela que je cherche quelque chose à une certitude et cela trouvé, écrit Maurras dans une lettre de 1896, je me charge bien du reste, de compléter par mes actes ce qui a été commencé par mes pensées. » Le jeu des affects constitue les ressorts fondamentaux de l’action humaine, et notamment de la politique. Le souverainisme doit prendre au sérieux cet art de produire des idées affectantes, qui ont pour vocation de « conduire la conduite » des hommes.
Chacun a déjà fait l’épreuve de son impuissance à convaincre l’adversaire à l’aide d’arguments rationnels. Cela n’implique pas pour autant que la raison en elle-même soit impuissante, mais seulement que les idées, en tant qu’idées, sont sans force. Critiquer les structures de domination de l’Union européenne et de la classe dirigeante qui a trahi ne suffit pas : il faut également rendre désirable, par des « chocs » émotionnels, un monde où la France redeviendrait libre et indépendante.
C’est une première impulsion de la sorte qui anima la « conversion » de Maurras au nationalisme. Alors qu’il est envoyé, en tant que journaliste, aux Jeux olympiques d’Athènes de 1896, il est comme frappé par une révélation qui lui fait prendre conscience de la faiblesse et de la décadence de son « pays » : « L’évidence m’en arrachait enfin l’aveu : il nous fallait rétablir enfin ce régime si nous ne voulions être les derniers des Français. Pour que vécût la France, il fallait que revînt le Roi. La décision de mon royalisme intellectuel était prise. » Qu’est-ce qui pousse les individus à l’action ? Peut-être les idées, mais à une seule condition : qu’elles soient affectées.
Quels changements espérez-vous voir dans le paysage politique français à l'avenir ?
L’universitaire Olivier Dard remarque, en évoquant le texte maurrassien Les vergers sur la mer (1937), que « c’est l’affaire Dreyfus qui fait basculer définitivement Maurras dans le politique au quotidien ». Pour beaucoup de souverainistes, c’est le viol du référendum de 2005 qui a souvent provoqué le « changement total » et leur revirement politique — même pour ceux qui ne l’ont pas connu. Maurras expliquait ainsi son déclic : « J’étais entré en politique comme en religion. La curiosité de la veille, celle du jour, du lendemain, m’asservissaient et m’enchantaient : qu’allait-il arriver ? Que fallait-il faire arriver ? Je fus l’esclave de cette transe mystérieuse. »
Comme l'affaire Dreyfus clivait radicalement la société de l’époque — pour de bonnes ou de mauvaises raisons —, il faut que les souverainistes imposent, avec cette même hargne, la lutte contre l'européisme au cœur du débat public En novembre 1897, il écrivait à l’abbé Penon : « Mon avis est de tomber violemment sur les auteurs du scandale, les intérêts particuliers du condamné ne pouvaient être mis en balance avec ceux de l’armée française. »Le fait que, en 2008, et au mépris de la décision souveraine de 2005, le gouvernement ait adopté par le Parlement le texte à peine modifié, était en réalité plus d’un simple « scandale » politique : ce fut une déclaration de guerre contre le peuple. Il faut bien comprendre une chose sur laquelle les souverainistes feraient bien d’insister : depuis cette date, les européistes forment un « État dans l’État » qui exige au reste du peuple français un projet qu’ils ont refusé.
Aussi faut-il avoir en tête l’époque de Maurras lorsque les empoignades, orales comme physiques, concernant Dreyfus étaient d’une violence sans comparaison. Le cas du capitaine juif brisait des amitiés, aggravait les ressentiments ou même faisait naître des amitiés que l’on pensait impossibles auparavant. C’est pour cela que la question européenne doit devenir la nouvelle affaire Dreyfus de notre temps. Toutes les questions politiques (migratoire, géopolitique, économique, sociale, sociétale) doivent être ramenées à cette opposition pour qu’elle soit le sujet de conflictualité le plus dur, le plus radical. L’anti-européisme — entendu comme une opposition, non pas à l’Europe, mais à l’Union européenne — doit devenir le nouveau facteur de mobilisation. Chaque argument politique ne doit dorénavant s’exprimer qu’avec, en filigrane et sous-entendue, une petite musique d’anti-européisme.
Pourquoi s’engager politiquement en 2024 ? Et quels sont les auteurs et philosophes qui ont influencé votre personnalité ?
Je suis originaire d’un petit village (moins de mille habitants) situé en face du Mont-Blanc, en Haute-Savoie, où mes ancêtres et ma famille sont installés depuis plusieurs générations. Concernant mes études, j’ai fait mon droit à l’Université Jean Moulin (Lyon 3), puis je suis rentré chez moi pour devenir menuisier-charpentier. Depuis environ deux ans, je suis « monté » à la capitale pour travailler dans le monde l’édition.
D’un point de vue social, je viens d’une famille de la classe moyenne périphérique en voie de déclassement – comme des milliers d’autres familles françaises. Je mentionne cela car cet élément influence directement mes idées politiques et mes affinités doctrinaires. Si je devais me classer politiquement, je me présenterais comme un nationaliste, un identitaire, un antilibéraliste, un souverainiste et un populiste – avec un véritable tropisme socialiste « à la française ». Disons que mes sources idéologiques sont sociales (Sorel, Proudhon, Michéa) et nationales (Barrès, Maurras, Valois).
Les derniers évènements (réforme des retraites, révolte des paysans, émeutes urbaines) nous ont encore démontré que le concept de violence était central pour penser nos sociétés actuelles. « Il ne s’agit pas ici de justifier les violents, écrit Sorel, mais de savoir quel rôle appartient à la violence des masses ouvrières dans le socialisme contemporain. » Pour le normand, une fonction importante de la violence était celle de « lever le voile » sur la société du bien-être, du compromis libéral et du statu quo – éléments dont doit se prévaloir, à mon avis, tout mouvement de révolte contre le système qui domine aujourd’hui le peuple français.
C’est aussi la vision de Sorel qui nous permet d’avoir un œil critique sur les émeutes des hordes barbares et islamisés que nous venons de connaître. Sans pour autant nous faire les défenseurs de la République et du système en place, la vision sorélienne rejette la violence spontanée de la foule, à tendance pogromiste (anti-français), apte aux pillages et à l’affirmation de prise de territoires. Sans un caractère politique bien défini, ces violences ne sont en réalité que contraire aux intérêts du peuple populaire et du pays réel. En effet, à la suite de ces débordements, le système va profiter de la situation pour mettre en place des mesures de surveillance et de coercitions qui seront demain utilisées contre de possibles soulèvements de « notre camp ».
Enfin, Sorel nous montre bien l’importance du mythe dans les mouvements de masse. Nous ne pouvons échapper à cette nécessité de constituer un nouvel univers mental pour pousser nos contemporains à l’action. Le mythe est une arme sociale, une pratique mise en place par ses promoteurs dans une lutte journalière. Il est le seul capable de faire apparaître, pour un mouvement politique, cette dyade de la réussite ou de la mort. Mon travail consiste alors à produire ce nouveau mythe nationaliste pour la jeunesse. Sans l’apparition d’un tel phénomène, toute volonté de changement social demeurera un vœu pieux…
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